Si l’on fait abstraction de la narration officielle turque, les forces armées de la République de Turquie, l’une des plus grandes armées de l’Alliance atlantique (OTAN) en termes d’effectifs, est intervenue au Nord de la Syrie pour soutenir directement la rébellion syrienne contre les forces kurdes et le gouvernement syrien. 

La stratégie militaire turque demeure floue et d’une extrême ambiguïté. Officiellement, il s’agit de frapper les forces des YPG kurdes, assimilées au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Dans les faits, le deuxième Corps d’Armée turc dont le QG est basé à Hatay tente de remettre sur selle l’Armée libre syrienne (ASL), une organisation rebelle quasiment décimée lors de la guerre en Syrie et à court terme établir une tête de pont suivant l’axe Afrin-Minbej tout en permettant la jonction des rebelles HTS (Instance de Libération du Levant) d’Idlib avec les rebelles Ennosra-IS des enclaves non libérées de la province d’Alep dans un premier temps puis établir une zone sous influence turque adjacente à la zone sous occupation US de l’extrême Nord-Est syrien et près des confins syro-irakiens. 

En termes plus précis, l’opération turque vise la division de la Syrie en trois zones et à s’assurer le contrôle d’une de ces zones s’étendant de la mer Méditerranée à l’ouest jusqu’à la zone US à l’est et de la province turque de Hatay au Nord jusqu’a Afrin au Sud. Cela explique les frictions entre Ankara et Washington mais également la volonté des pays hostiles à la Syrie de divertir l’effort de guerre syrien du sud du pays (45 %  des forces syriennes sont déployées autour de la capitale Damas et le long de l’axe Damas-Lattaquié) et d’ôter toute forme de pression militaire près du plateau du Golan. 

Mensonges, diversion, dissimulation des objectifs réels de cette opération baptisée ironiquement “Rameau d’Olivier”, un nom de code dont raffolent les faucons israéliens, et à la fin exploitation du conflit anti-Kurde à des fins géostratégiques en s’appuyant directement sur les rebelles syriens pour acquérir une zone d’influence au Nord (Ankara évoquait une zone d’exclusion aérienne au nord de de la Syrie dès 2012 ! ), Erdogan ne fait que poursuivre le plan initial de changement de régime en Syrie en intervenant directement aux côtés d’une rébellion que la Turquie a soutenu a bouts de bras depuis le début. Sauf que les turcs ne sont pas seuls en Syrie. 

Les russes et les iraniens soutiennent Damas, les américains protègent une partie de la rébellion, laquelle est aux prises avec les groupes que soutient la Turquie sur le partage du butin mais pas sur la nécessité de renverser le régime et détruire la République Arabe de Syrie et la remplacer par un chaos sans fin. 

Cela se passe sur le flanc méridional de l’OTAN, à un moment où le conflit au Levant entame sa septième année consécutive sans aucune perspective de paix parce que les objectifs de cette guerre dépassent de loin le cadre restreint syrien ou son environnement régional. Les desseins du Grand jeu visent l’hégémonie universelle et pour y accéder, le chemin de Damas, aussi étroit soit-il, est devenu la seule voie incontournable sous peine d’assister à un effondrement de l’empire.

10 thoughts on “Syrie :  la Turquie tente d’établir une tête de pont en poursuivant le plan initial derrière le conflit au Levant

  1. Excellente analyse frérot, il est extrêmement rare par ces temps de trouver des éditorialistes qui ont une bonne lecture des évènements. Pour cette situation précise c’est pourtant clair comme de l’eau de roche. Mais nos experts de tout bord ne parlent que de desamour entre Ankara et Washington quand ils n’y voient pas simplement un autre episode de la guerre entre Ankara et le PKK.

    1. Merci. Il n’y a aucun contentieux sérieux entre Washington et Ankara. Les deux convergent. Remarquez que les turcs soutiennent militairement l’ASL, laquelle bénéficie toujours de fonds alloués par le Département d’État et la CIA.
      Le PKK est un prétexte ancien. Ce qui est amusant est qu’en 1998 déjà, Ankara accusait Damas de soutenir Abdullah Oçalan…
      Certains ont la mémoire courte et je déteste les feux de diversion.

      1. Absolument d’accord avec le fait que certains aient la mémoire courte,voire très courte… et d’autant plus courte lorsqu’il s’agit du conflit en Syrie même ! La Turquie n’a-t-elle pas été le principal agent destructeur au sein la coalition internationale anti-syrienne ces dernières années ? D’aucuns n’ont mis autant de zèle dans le plan de changement de régime en Syrie. N’oublions pas non plus qu’Erdogan fait depuis 2015 ouvertement part de son intention d’occuper le nord et de s’y établir avec les milices terroristes (les révolutionnaires comme ils les appellent) dans le but avoué d’établir une Syrie BIS néo ottomane pour les syriens dont les cerveaux ont été retournés par al Jazeera et le Facebook arabe saturé par les frères musulmans… une Syrie dont le gouvernement d’opposition serait hypocritement reconnu par la fameuse “communauté internationale” et qui prospérerait grâce aux aides internationales pour la reconstruction, l’éducation et la création d’emploi ; alors que dans la Syrie contrôlée par Damas ça serait embargo, pénuries de denrées et de fonds pour la reconstruction, chômage, colère, insécurité (délinquance, guérilla et terrorisme), statut d’état voyou mis au ban des “nations”… Donc en prenant Afrin et les autres zones occupées par les Kurdes (éternellement hostiles à la Turquie) à l’ouest de l’Euphrate, il aura pleinement accompli la part du plan B qui incombe à la Turquie. La Syrie républicaine doit donc, pour contrecarrer l’entreprise impérialiste qui lui est imposée, dès à présent mobiliser dans un élan patriotique TOUTES les forces vives de la nation et s’apprêter à chasser les envahisseurs, tant turcs qu’américains ainsi que les pions qui leurs servent de supplétifs, avec pour maitre-mot : Souveraineté.

        P.S : Concernant les derniers événements, j’admire la grande lucidité avec laquelle le “Peace Committee of Turkey” du “World Peace Council” dénonce l’invasion militaire turque du canton d’Afrin. Voici le texte :

        http://www.wpc-in.org/statements/no-foreign-intervention-syria

        No to foreign intervention in Syria!
        Sunday, January 21, 2018
        Statements

        The Afrin operation of the Turkish Armed Forces (TSK) has nothing to do with our country’s national interests. This operation is a new link of Justice and Development Party’s (AKP) interventions against the sovereignty of Syria.

        Attacks of imperialist-sponsored reactionary forces have turned the country into a bloodbath and displaced millions of Syrian people since 2011. Although the jihadist gangs were largely repelled, the recent developments prove that all powers are the enemies of stability and peace in Syria.

        Liquidation of the Islamic State is not enough; it is apparent that peace will not be achieved until the Syrian people take full control of the country and all foreign powers withdraw.

        Turkey’s attack with the consent of the U.S.A. and Russia is illegitimate, reinforcing the partition of Syria in the service of imperialism. AKP’s anti-American discourse is completely demagogic.

        Escalating nationalism and chauvinism go along with TSK’s intervention, while warmongering is rising and war is attempted to be legitimatised through a religious discourse. It is necessary to reject this policy that functions as divisive not only in Syria but also in Turkey.

        Various entities supported by the U.S.A. are pointed out as a threat. All U.S. attempts are extremely serious threats for all peoples of the region, particularly for Syria and Turkey. All policies paving the way for imperialism are anti-people.

        It is necessary to put an end to all foreign interventions in Syria immediately and unconditionally. Imperialism and all big powers should leave Syria alone, and the people should determine their future themselves.

        We call on all neighbouring and peace-loving people to unite against imperialism and reaction.

        Peace Committee of Turkey

        1. traduction :
          No to foreign intervention in Syria!
          Sunday, January 21, 2018
          Statements

          L’opération Afrin des Forces armées turques (TSK) n’a rien à voir avec les intérêts nationaux de notre pays. Cette opération est un nouveau lien entre les interventions du Parti pour la justice et le développement (AKP) contre la souveraineté de la Syrie.

          Les attaques des forces réactionnaires soutenues par l’impérialisme ont transformé le pays en un bain de sang et déplacé des millions de Syriens depuis 2011. Bien que les gangs djihadistes aient été largement repoussés, les développements récents prouvent que tous les pouvoirs sont les ennemis de la stabilité et de la paix en Syrie..

          La liquidation de l’État islamique n’est pas suffisante. il est évident que la paix ne sera pas atteinte avant que le peuple syrien ne prenne le contrôle total du pays et que toutes les puissances étrangères se retirent.

          L’attaque de la Turquie avec le consentement des États-Unis et de la Russie est illégitime, renforçant la partition de la Syrie au service de l’impérialisme. Le discours anti-américain de l’AKP est complètement démagogique.

          L’escalade du nationalisme et du chauvinisme va de pair avec l’intervention de TSK, alors que le bellicisme augmente et que la guerre est tentée pour être légitimée à travers un discours religieux. Il est nécessaire de rejeter cette politique qui fonctionne comme une division non seulement en Syrie mais aussi en Turquie.

          Diverses entités soutenues par les États-Unis sont signalées comme une menace. Toutes les tentatives des États-Unis constituent des menaces extrêmement graves pour tous les peuples de la région, en particulier pour la Syrie et la Turquie. Toutes les politiques ouvrant la voie à l’impérialisme sont anti-peuple.

          Il est nécessaire de mettre fin à toutes les interventions étrangères en Syrie immédiatement et sans condition. L’impérialisme et toutes les grandes puissances devraient laisser la Syrie tranquille, et le peuple devrait déterminer lui-même son avenir.

          Nous appelons tous les peuples voisins et pacifiques à s’unir contre l’impérialisme et la réaction.

          Peace Committee of Turkey

      2. << Certains ont la mémoire courte et je déteste les feux de diversion >>
        j’ai du mal a croire que les Russe ne l’ai pas vu venir .
        ils ont proposés la protection de Damas aux Kurdes qui l’ont refusés je pense qu’ils vont eux soutenir juste suffisamment les Kurdes dans l’espoir qu’ils apprennent a Erdogan qu’une guerre ça coute cher .
        1°) ils pourront ainsi se réconcilier avec la Turquie après qu’elle ait compris la leçon !
        2°) ils disposeront eux aussi de proxi ( mercenaires ) sur le terrain qu’ils pourront lâcher en cas de besoin !
        3°) l’élection présidentielle Russe est pour bientôt il vaut mieux qu’ils n’ai pas a faire face a une situation internationale en crise a ce moment là ! après . . .

    2. Minbej semble être le point de contentieux et cela semble logique. Minbej ou sont déployés les forces US est le verrou vers le Nord de l’Irak et les routes d’appro pour la partie Nord Est au dessus de l’Euphrate que Washington compte diviser.
      La Turquie voit grand. D’Afrin a Minbej…ils doivent être accrocs à une drogue dure d’un nouveau genre !

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